Mai 1790
Plantation des arbres de
la Liberté dans toutes les communes de France en présence du maire
et des gardes nationaux
Après l'installation du roi à Paris, les désordres s'apaisèrent dans la capitale. En province et dans les campagnes, quelques troubles ponctuels éclataient encore ici et là visant à l'abolition complète des droits seigneuriaux.
Dans la France entière et surtout à Paris, l'homme clé
du moment est La
Fayette. Après les événements d'octobre, il s'estime
être le sauveur du roi et de la reine. Tous deux le détestent mais
n'ayant pas le choix, feignent d'accepter ses conseils et ses services.
Sa popularité est immense dans la capitale, où il devient rapidement l'idole des partisans d'une révolution bourgeoise tendant à mettre en place une monarchie constitutionnelle. Par sa fonction à la tête de la Garde Nationale, par son ascendant sur les hommes, sa courtoisie et sa modération envers les plus démunis, son courage et son implication lors des troubles ou manifestations il parvient à désamorcer les tensions les plus explosives. Sûr de sa popularité, il vise le plus haut pouvoir, c'est-à-dire le poste de Premier ministre d'un roi constitutionnel.
Louis
XVI |
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Deux rivaux ne voient pas d'un très bon oeil cette popularité.
Le
duc d'Orléans qui convoite toujours le trône et Mirabeau
qui se voit lui aussi Premier ministre. Le futur Philippe Egalité sera
rapidement écarté. La Fayette l'incitera à partir pour
Londres suite aux soupçons qui pèsent sur lui et sur sa responsabilité
lors des émeutes de Versailles. Il ne rentrera qu'en juillet 1790. Reste
Mirabeau homme d'une toute autre trempe. A l'issue d'âpres discussions
et manoeuvres politiciennes Mirabeau se voit fermer les portes du premier ministère
par le décret du 7 novembre 1789 interdisant à tout membre
de l'Assemblée Nationale d'occuper une fonction ministérielle
pendant toute la durée de la session.
Mirabeau enfin écarté, le pouvoir et la popularité de La Fayette vont croître et prospérer jusqu'à l'été 1790.
Comte de Mirabeau
Après une longue lutte avec le marquis de La Fayette pour le poste de Premier ministre, il s'en verra finalement barrer l'accès par La Fayette. |
Composition de l'assemblée
En novembre 1789, l'Assemblée vient siéger aux Tuileries dans la salle du Manège. La salle longue et étroite n'est pas très adaptée à ce genre de séance. Le président est à une extrémité, les orateurs sont à l'autre, le public pouvant assister aux séances interrompt fréquemment les députés. Les travaux préparés par les différents comités sont discutés en séance le matin puis le soir après 18 heures.
Depuis le vote sur le droit de veto du roi le 11 septembre 1789 où les députés s'étaient partagés en deux groupes (les partisans du veto à droite du président et les opposant à sa gauche) les différentes tendances d'opinions se répartissent maintenant selon ce clivage.
A l'extrême droite de l'assemblée se tiennent les aristocrates défendant l'ordre ancien, la monarchie absolue et les privilèges. A leur tête le vicomte de Mirabeau "Mirabeau-tonneaux" frère du grand Mirabeau, l'officier Cazalès grand orateur et l'abbé Maury. Ce dernier, violent et efficace dans ses paroles, fait preuve d'une répartie et d'un sang-froid imperturbable qui en font un orateur et un adversaire redouté. Cette droite s'effritera rapidement et désertera les tribunes. Fin 1789 environ 200 de ses membres nobles auront émigré et 194 autres se seront retirés dans leurs terres.
Plus modérés, on trouve ensuite, à droite, les monarchiens comme Clermont-Tonnerre, Lally-Tollendal ou Mallouet. Souhaitant s'en tenir aux réformes adoptées dans la nuit du 4 août, ils craignent un dérapage de la révolution. Mounier, leur chef de file a déjà choisi la voie de l'émigration.
La majorité de l'Assemblée est formée des constitutionnels. Nous y trouvons essentiellement des hommes de loi comme Le Chapelier, Merlin de Douais, Lanjuinais, Thouret et des nobles libéraux comme La Rochefoucauld-Liancourt, Montmorency, Talleyrand ou Sieyès.
Plus à gauche un groupe mené par le triumvirat Barnave, Lameth, Duport.
Enfin à l'extrême gauche on peut voir Pétion, Buzot et Robespierre. Ce dernier est alors très peu écouté à l'Assemblée et est raillé par l'ensemble des députés qui disaient "Si M. de Mirabeau est le flambeau de la Provence, M. de Robespierre est la chandelle d'Arras".
En dehors de l'Assemblée, les députés
se retrouvaient dans des clubs où ils reprenaient avec leurs partisans
les débats de l'Assemblée. Les aristocrates avaient "le
Salon Français". Les monarchiens se regroupaient au "Club
des Impartiaux" qui deviendra "le Club des Amis de la Constitution
Monarchique". Les patriotes qui avaient fondé à Versailles
"le Club Breton" se réunissaient maintenant au couvent
des Jacobins; ils prirent donc le nom de "Club des Jacobins"
dans lequel se regroupaient les constitutionnels et toute la gauche de l'Assemblée.
En 1790 ce club aura plus de 1100 adhérents sur Paris et essaimera en
province: début 1791, 227 filiales, elles seront 406 à la fin
de la Constituante. Très vite, la place prise par les Jacobins deviendra
prépondérante et ce club tendra à diriger les débats
à l'Assemblée. En juillet 1791 "le Club des Feuillants"
sera créé, issu de la tendance modérée des Jacobins.
Tous ces clubs demandaient une cotisation assez élevée. Ils étaient
donc réservés à la bourgeoisie, aussi dès avril
1790 sera créée "la Société des Amis
des Droits de l'Homme" ouverte à tous et qui siégera
au couvent des Cordeliers. Ses principaux dirigeants en seront Danton et Marat.
Club des Jacobins Paris rue Neuve-St Honoré en 1789. Vue du club des Jacobins. Ancien couvent de l'ordre de St Dominique, il donna son nom aux révolutionnaires du Club Breton lors du transfert de l'assemblée de Versailles à Paris. Leur devise: |
La constitution de 1791
Les débats sur la Constitution se poursuivront pendant tout cet hiver 1789-1790 et pour certains points dureront jusqu'à l'automne 1791.
Distribution des pouvoirs
Depuis août, où les propositions des bi-caméristes avaient été rejetées, les pouvoirs exécutifs et législatifs se répartissaient ainsi:
Le pouvoir exécutif est aux mains de Louis XVI qui perd son titre de roi de France et devient désormais le roi des Français. Dans la devise inscrite sur les actes publics il ne tient plus que la troisième place "La Nation - La Loi - Le Roi". Chef suprême des armées et de l'administration il nomme les très hauts fonctionnaires, il frappe la monnaie, il dirige les armées et signe les traités. Sur autorisation de l'Assemblée il déclare la guerre. Il choisit ses ministres (en dehors de l'Assemblée), peut les renvoyer et s'opposer pendant 2 législatures à la loi décrétée (veto suspensif). Il doit prêter serment d'être fidèle à la nation et à la constitution. Sa personne est inviolable et sacrée.
Le législatif est entre les mains d'une chambre unique, l'Assemblée Législative, élue pour deux ans. Elle discute et vote les lois. Elle ne peut être dissoute par le roi et l'armée a interdiction de s'approcher à moins de 30000 toises du corps législatif. Aucun de ses membres ne peut être ministre.
Cette première Constitution soulève déjà des problèmes dans l'organisation des pouvoirs.
Quel suffrage employé ?
En dépit de
la clause "tous les hommes naissent égaux" de la Déclaration
des droits de l'homme, la Constituante ne semble guère disposée
au suffrage universel. On s'achemina donc vers deux catégories de citoyens
(7 millions de citoyens en excluant les femmes), les citoyens actifs qui jouiront
des droits politiques complets ( 4,3 millions en 1789) et les citoyens passifs
qui n'auront que des droits naturels et civils (2,7 millions répartis
massivement dans les campagnes et à Paris).
Les citoyens actifs seront ceux acquittant un impôt direct égal
à au moins trois journées de travail. Malgré les oppositions
de Robespierre ou de Grégoire partisans du suffrage universel la distinction
est adoptée le 29 septembre 1789. Les citoyens actifs éliront
des délégués pris parmi ceux payant un impôt au moins
égal à dix journées de travail (plus que 50000 personnes).
Ce sont ces délégués qui éliront les députés.
Pour pouvoir prétendre à la députation le citoyen devra
acquitter un impôt d'au moins un marc d'argent (50 livres) et être
propriétaire d'un bien foncier. La clause du marc d'argent, violemment
attaquée à l'Assemblée par Lameth et dans les journaux
par Loustallot, sera supprimée le 27 août 1791.
Réorganisation administrative
Les anciennes organisations, parlements ou provinces, sont supprimées. Le décret du 15 janvier 1790 divise la France en 83 départements subdivisés en districts puis en cantons. Leurs noms, limites et superficies en sont définitivement fixés le 26 février 1790. Par le décret du 22 décembre 1789, l'administration du département était assurée par un conseil de 36 membres élus pour deux ans et choisis parmi les citoyens actifs qui pourront élire les députés (impôt au moins égal à 10 journées de travail). L'administration des districts appartenait à 12 membres également élus pour deux ans. L'administration des 44000 communes appartenait au conseil général de la commune composé pour 1/3 d'un conseil municipal et pour 2/3 des notables tous élus pour deux ans par les citoyens actifs uniquement. De par leurs élections ces nouveaux administrateurs des départements et communes se trouvaient totalement indépendants du pouvoir central qui ne pouvait les révoquer. D'autre part, avec le système de vote et la notion de citoyens actifs tous les pouvoirs se retrouvaient entre les mains de la bourgeoisie et des notables de la commune et du département. La prépondérance de la classe bourgeoise deviendra alors générale à tous les niveaux de l'administration.
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Les 83 départements Décret du 26 février 1790
Les provinces de l’Ancien Régime étaient fort inégales et obéissaient à des lois coutumières différentes. Ce décret de l’Assemblée divise la France en 83 départements, avec chacun une ville principale, le chef-lieu. Ils porteront des noms de montagne, de fleuve ou de côte. Chaque département se divise lui-même en districts, qui contiennent des communes, 40 000 petites «républiques», munies d’un gouvernement local élu, présidé par un maire. On découpe les villes de plus de 25 000 habitants en sections. |
Réorganisation judiciaire
La réorganisation judiciaire suit le même principe. Les juges sont élus à tous les degrés (juges de paix dans les cantons, juges des tribunaux civils des districts, juges des tribunaux criminels des départements). Les parlements sont supprimés. Coté ministère public, seul le commissaire qui saisit le tribunal est nommé par le roi, l'accusateur public lui est élu. Sont élus également, les magistrats des tribunaux de cassation (un par département) et ceux de la haute-cour.
La constitution de 1791 discutée entre août 1789 et septembre 1791
|
L'oeuvre de réforme est énorme,
peut être même unique dans l'histoire, mais fragile. Le pouvoir
est en haut mais il ne vient pas d'en haut. Le gouvernement commande à
des gens qui peuvent lui désobéir impunément puisqu'ils
ne sont pas nommés par l'administration. En revanche, ces gens sont élus
par des citoyens qu'ils doivent administrer et juger.
Ce nouveau visage administratif de la France était lourd de menaces:
risque de sécession dans les départements, important rôle
révolutionnaire qu'allaient prendre les sociétés populaires
en province et les sections à Paris. Ce rôle n'aurait put être
pris en face d'une administration fortement constituée.
La concentration de tous les pouvoirs dans les mains de la bourgeoisie et l'ignorance
complète d'une part importante de la population (citoyens passifs) ne
pouvaient qu'être une pomme de discorde future.
Réorganisation fiscale
Aux anciennes taxes et impôts, totalement injustes et inégales, on substitua le principe de l'égalité de tous devant l'impôt. Le mot impôt était banni du vocabulaire et remplacé par le mot plus populaire de contribution.
Les municipalités ayant la
charge de collecter ces différentes contributions, et la moitié
d'entre elles ayant des officiers municipaux ne sachant ni lire ni écrire,
il en résulta une belle pagaille. Il fallut alors mettre en place un
personnel adapté pour centraliser toutes ces sommes. L'erreur fut de
les faire élire pour six ans avec possibilité de réélection
par les administrateurs de districts, ils ne pouvaient donc qu'être sensibles
à leurs électeurs. Dès la mise en application du système,
les impôts rentrèrent très mal.
Le problème financier
A l'automne 1789, le principal problème
qui se trouve maintenant posé à la Nation concerne l'effondrement
des recettes fiscales. Cet effondrement est dû à un ensemble de
causes économiques: prix des grains élevé, mécontentement
et crise de confiance dans les manufactures, émigration des capitaux
et ruine du commerce de luxe mais également aux révoltes fiscales.
Les entrées fiscales sont en panne depuis juillet 1789, les barrières
d'octroi ont été brûlées. Dans plusieurs régions
la taille n'est toujours pas rentrée et les agents du fisc ne font pas
preuve d'un grand zèle dans une époque aussi troublée.
En janvier 1790, les recettes seront de 15 millions par mois, les dépenses
de 70 millions. Dés août 1789, dans l'impossibilité d'un
emprunt à court terme, Necker s'était résigné à
lancer un premier emprunt à long terme de 30 millions (9 août
1789) puis un second de 80 millions (27 août 1789) tous deux
avaient échoué. En octobre, le principe de la contribution patriotique,
égale à un quart du revenu et ne touchant que les revenus supérieurs
à 400 livres est adopté puis celui du don patriotique: les résultats
sont nuls et ramènent tout juste 1 million de livres.
La proposition de Talleyrand
Les moyens classiques ne ramenant rien on dut se résoudre à recourir à des moyens révolutionnaires. Il fallait donc prendre l'argent là où il se trouvait en quantité, c'est à dire dans les coffres du clergé. En effet, les biens du clergé étaient évalués à quelques 2 milliards de livres et représentaient environ 12% du territoire. Ces revenus annuels se montaient à environ 200 millions de livres (120 millions de dîme et 80 millions de revenu immobilier). La répartition de ces revenus entre les différents membres était par contre en désaccord complet avec les évangiles puisqu'un curé congruiste ne disposait que très rarement de plus de 500 livres annuelles alors qu'un haut dignitaire disposait lui de plusieurs centaines de milliers de livres.
Le 10 octobre 1789, Talleyrand
propose la nationalisation des biens du clergé. En contrepartie, la prise
en charge salariale des ecclésiastiques et la détermination du
nombre total de ceux ci seront définis par la Nation.
La proposition de Talleyrand va être âprement débattue trois
semaines durant.
Combattue d'un côté par l'abbé Maury, Malouet et Sieyès
sur des critères mettant en cause le droit de propriété
transgressé par la Nation lorsqu'elle s'approprie les biens d'autrui.
Soutenue par ailleurs par Mirabeau ou Thouret lorsqu'ils précisent que
ces biens n'appartiennent pas au clergé mais à la masse des fidèles
qui leur en ont fait don, donc à la Nation.
Le clergé se divise également sur la question. Tout d'abord surpris
par la proposition de Talleyrand, les curés se joignent finalement à
elle. D'une part la proposition précise que le salaire versé par
la Nation ne pourrait être inférieur à 1200 livres annuel
soit plus du double que ce dont ils disposent, et d'autre part si la Nation
restreint le nombre d'ecclésiastique ce sera la catégorie des
prélats et des hauts dignitaires qui en souffrira et non les simples
curés.
Une ultime proposition de contribution exceptionnelle du clergé ayant été écartée, la proposition de Talleyrand reformulée par Mirabeau est votée par 568 voies contre 346 voies et 40 abstentions le 2 novembre 1789. Cette motion précise d'une part que les biens de l'Eglise seront mis à disposition de l'Etat et d'autre part que tout curé recevra au moins 1200 livres, non compris le logement et le jardin.
Restait maintenant à transformer ces biens en liquidités exploitables par l'Etat et son ministre des finances Necker. La mise en vente massive d'autant de biens immobiliers risquait en effet d'entraîner une baisse considérable de leur prix. Même en cas de vente échelonnée d'une partie seulement des biens, la partie restante risquait de voir son cours baisser.
La loi du 19 décembre 1789
décide de créer des assignats émis par l'Etat et gagés
sur les biens de l'Eglise. Sorte de bon du trésor émis sur un
capital de 400 millions de livres, la valeur de l'émission est de 1000
livres par bon portant intérêt à 5%. Pour accélérer
et faciliter la vente, le 17 mars 1790 il est décidé le
transfert de ces biens aux municipalités qui devront en assurer la vente.
Ces ventes connurent un succès énorme et c'est un transfert de
propriété gigantesque qui s'amorce.
Le 17 avril 1790 un décret donne aux assignats valeur de monnaie,
l'intérêt en est réduit à 3% et des coupures de 300
et 200 livres apparaissent. L'ère périlleuse des assignats et
de la monnaie-papier commençait. Jusqu'à
cette période, le système monétaire reposait sur les monnaies
en métal (or, argent et cuivre) utilisant la livre comme monnaie de compte.
1 livre valait 20 sols, 1 sol valait 12 deniers. 1 louis d'or valait 24 livres
et 1 écu d'argent 6 livres jusqu'au liard de cuivre. Désormais
la monnaie métal se fera rare et va disparaître dans les "bas
de laine" en vertu de l'adage "la mauvaise monnaie chasse la bonne".
Le 29 septembre 1790 contre les avis de personnalités aussi diverses
que Talleyrand, Maury, Dupont de Nemours, Lavoisier ou Condorcet l'assignat
devient papier-monnaie ne porte plus d'intérêt et son cours devient
forcé. 800 millions sont de nouveau émis portant à 1,2
milliards de livres le volume d'assignats pour un stock de monnaie métal
de 2,2 milliards de livres. La tendance s'accentuera dans les années
suivantes, en juin 1791 on émettra 1,6 milliards d'assignats, 4 milliards
en octobre 1792, 9 milliards en septembre 1793, 14 milliards en février
1794 et 30 milliards en janvier 1795.
Les assignats Loi du 19 décembre 1789 En attendant, la vente des biens de l'Eglise, l’Etat émet des billets gagés sur ces biens, pour faire face aux dépenses. Mais on ne détruit pas ces assignats au fur et à mesure des ventes comme prévu et les gouvernements en impriment de plus en plus : ils se dévaluent. Cette monnaie de papier est mal acceptée en France et l’étranger la refuse. |
Les conséquences des assignats
Les effets ne se font pas attendre. Il y a immédiatement une dépréciation de l'assignat, une inflation générale des prix. Un double étiquetage des prix d'une part en monnaie métal et d'autre part en monnaie papier apparaît. Le papier-monnaie sera aussi à l'origine de la raréfaction des denrées sur les marchés aggravant les problèmes de ravitaillement dans les villes.
Les bons effets sont une accélération de la vente des biens du clergé et une accélération de la consommation car la monnaie-papier se dévaluant rapidement les gens ne cherchent pas à la garder. La dépréciation de l'assignat se confirmera au rythme des émissions jusqu'à son retrait le 19 février 1796 (la dépréciation sera de 92% en 1795 c'est à dire qu'un assignat de 1000 livres n'est échangé que contre 80 livres de monnaie métal).
Le 14 juillet 1790 l'unité
de la France s'achève. A la révolution politique du 23 juin 1789
qui vit s'effondrer l'absolutisme, à la révolution sociale du
4 août 1789 qui marqua la fin de la société d'ordre succède
la révolution nationale.
Depuis juillet 1789, partout en France s'étaient formées dans
chaque commune des gardes nationales à l'image de celle de Paris commandée
par La Fayette. Elles avaient un but défensif contre les bandes de rôdeurs
et devaient assurer la libre circulation des grains et le soutien des lois émanant
de l'Assemblée. Certaines de ces communes s'étaient fédérées
entre elles comme en Bretagne ou dans le Dauphiné. L'exemple fut suivi
dans tout le royaume et des fédérations de communes se créèrent
au niveau des provinces puis au niveau inter-provinces.
Le 15 février 1790 les délégués de la Bretagne
et de l'Anjou se réunissaient à Pontivy et déclaraient
"solennellement qu'ils n'étaient ni Angevins ni Bretons mais
citoyens du même Empire". Ces fédérations donnèrent
lieu à des fêtes comme à Lyon le 30 mai 1790 où
50000 gardes nationaux représentants du midi et de l'Est se réunirent.
Il en fut de même à Lille ou à Strasbourg. Paris se devait
d'accueillir les représentants de toutes les provinces.
La fête de la fédération
La cérémonie était prévue au Champ-de-Mars pour le 14 juillet 1790. L'esplanade dut être transformée en un vaste amphithéâtre, au centre fut dressé l'autel de la Patrie en face duquel furent élevés des gradins talutés. 12000 ouvriers travaillaient au projet mais celui-ci n'avançant guère on dut compter à partir du 4 juillet sur des milliers de volontaires qui travaillèrent jours et nuits pour tenir les délais en chantant le "Ca ira" du chansonnier Ladé.. De toutes les communes de France arrivaient des délégués des gardes nationales à raison de 1 pour 100 gardes qui logeaient chez l'habitant.
Le 14 juillet la cérémonie commença par un défilé de toutes les gardes qui passèrent sous un arc de triomphe où était inscrit:
Nous ne vous craindrons plus
Subalternes tyrans
Vous qui nous opprimez
Sous cent noms différents
Rassemblés au Champ-de-Mars, 300.000 spectateurs vont voir entrer sur
l'esplanade le cortège conduit par une compagnie de grenadiers avec une
fanfare, suivis des électeurs de la ville de Paris, d'une compagnie de
soldats citoyens, de diverses personnalités puis des députés
de l'Assemblée Nationale précédés d'un bataillon
d'enfants et suivis du bataillon des vieillards. Vient ensuite l'armée
fédérale représentant les 83 départements puis un
détachement de grenadiers et de gardes à cheval qui ferment le
cortège.
Au centre, sur l'autel de la Patrie, Talleyrand évêque d'Autun
entouré de 400 prêtres portant des ceintures tricolores sur leur
aube blanche, la mitre sur la tête et la crosse à la main bénit
les 83 flammes blanches représentant les départements. En célébrant
la messe, il aurait dit à son abbé "Ne me faite pas rire"
toujours est-il que le ciel se couvrit et qu'il tomba des trombes d'eau.
La Fayette, alors à son apogée, s'avança vers l'autel l'épée
à la main et prononça le serment de fidélité à
la Nation, à la Loi et au Roi. La foule saisie de délire, le porta
en triomphe. Ce fut ensuite au tour des députés de l'Assemblée
Nationale de prêter le serment puis vint le tour du roi. Louis XVI assez
mesquinement ne quitta pas sa place où il était à l'abri
de la pluie pour prêter serment. Il n'en fut pas moins beaucoup applaudi
de même que la reine et le dauphin.
Fête de la Fédération 14 juillet 1790 Esplanade de Champ-de-Mars recouvert de gradins. On aperçoit à gauche l'arc de triomphe spécialement construit pour la journée et au centre l'autel de la Patrie où ont été prêtés les serments de fidélité. |
L'enthousiasme était général. Après la cérémonie un banquet de 25000 convives fut organisé et pendant trois jours il y eut des feux d'artifice, des illuminations et on dansa sur la place de la Bastille. Dans toute la France on célébra avec la même joie la Fédération. Ce serment de fidélité était en effet très important. Jusqu'alors le royaume avait été constitué par annexions successives à la couronne de provinces ou de cités. Par l'intermédiaire de ce serment toutes ces provinces se déclaraient françaises par libre consentement.
La nationalisation des biens du clergé associée au salaire que l'état devait verser à ses membres faisait entrer l'Eglise dans la société civile. De ce fait, elle allait être réformée en profondeur. Dès l'automne 1789, l'Assemblée s'attaqua au problème et suspendait, au nom de la liberté, les voeux religieux (28 octobre 1789). Ils seront abolis le 13 février 1790 par un décret qui interdira également les ordres religieux contemplatifs. Les ordres hospitaliers ou enseignants seront par contre maintenus.
La réforme du clergé
séculier reposera sur le projet de Martineau déposé le
21 avril 1790. Elle sera adoptée définitivement et votée
article par article du 31 mai au 12 juillet 1790 sous le nom de
Constitution civile du clergé.
Par cette Constitution, les constituants donnèrent à l'Eglise
une organisation civile choisie par des juristes (Treilhard,
Camus,
Thouret)
à l'écart des théologiens. Elle touchera à l'organisation
de l'Eglise de France mais ne touchera pas au dogme bien que Camus ait déclaré
"Nous sommes une Convention Nationale. Nous avons assurément
le pouvoir de changer la religion mais nous ne le ferons pas."
Les points importants de cette nouvelle organisation seront les suivants:
Les curés, nombreux à
l'Assemblée, avaient tout à gagner à cette Constitution,
cependant des problèmes de taille se posaient. L'Assemblée avait-elle
le pouvoir de modifier les circonscriptions ecclésiastiques ? L'Assemblée
pouvait-elle unilatéralement supprimer le Concordat de 1516 (évêques
nommés par le roi et institués par le pape) ? L'Assemblée
pouvait-elle rompre les liens établis entre le pape et les évêques
de France ? Les évêques avaient demandé au pape de se prononcer
mais Pie VI tardait à répondre.
Le 22 juillet 1790 Louis XVI fait savoir qu'il accepte la constitution
civile du clergé mais qu'il demande un délai dans son application.
Le 23 juillet 1790 Louis XVI recevait des brefs du pape, datés
du 10 juillet 1790, dans lesquels Pie VI condamne la Constitution. Les évêques
français tentent en vain de convaincre le pape de trouver un compromis,
le 24 août 1790 Louis XVI sanctionne, sans l'accord de Pie VI,
le décret espérant encore un arrangement.
C'est le décret du 27 novembre 1790 donnant obligation aux ecclésiastiques
de prêter serment de fidélité à la Nation à
la loi et au roi et donc à la Constitution civile du clergé qui
précipitera la fracture.
Divers décrets seront pris pendant cette période touchant à différents aspects de la vie des Français. On peut citer de manière non exhaustive: